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     Mémories!

    Le Château du Souvenir La main au front, le pied dans l'âtre,

    Je songe et cherche à revenir,

    Par delà le passé grisâtre,

    Au vieux château du Souvenir.

    Une gaze de brume estompe

    Arbres, maisons, plaines, coteaux,

    Et l’œil au carrefour qui trompe

    En vain consulte les poteaux.

    J'avance parmi les décombres

    De tout un monde enseveli,

    Dans le mystère des pénombres,

    A travers des limbes d'oubli.

    Mais voici, blanche et diaphane,

    La Mémoire, au bord du chemin,

    Qui me remet, comme Ariane,

    Son peloton de fil en main.

    Désormais la route est certaine ;

    Le soleil voilé reparaît,

    Et du château la tour lointaine

    Pointe au-dessus de la forêt.

    Sous l'arcade où le jour s'émousse,

    De feuilles, en feuilles tombant,

    Le sentier ancien dans la mousse

    Trace encore son étroit ruban

    Mais la ronce en travers s'enlace ;

    La liane tend son filet,

    Et la branche que je déplace

    Revient et me donne un soufflet.

    Enfin au bout de la clairière,

    Je découvre du vieux manoir

    Les tourelles en poivrière

    Et les hauts toits en éteignoir.

    Sur le comble aucune fumée

    Rayant le ciel d'un bleu sillon ;

    Pas une fenêtre allumée

    D'une figure ou d'un rayon.

    Les chaînes du pont sont brisées ;

    Aux fossés la lentille d'eau

    De ses taches vert-de-grisées

    Étale le glauque rideau.

    Des tortuosités de lierre

    Pénètrent dans chaque refend,

    Payant la tour hospitalière

    Qui les soutient en l'étouffant.

    Le porche à la lune se ronge,

    Le temps le sculpte à sa façon,

    Et la pluie a passé l'éponge

    Sur les couleurs de mon blason.

    Tout ému, je pousse la porte

    Qui cède et geint sur ses pivots ;

    Un air froid en sort et m'apporte

    Le fade parfum des caveaux.

    L'ortie aux morsures aiguës,

    La bardane aux larges contours,

    Sous les ombelles des ciguës,

    Prospèrent dans l'angle des cours.

    Sur les deux chimères de marbre,

    Gardiennes du perron verdi

    , Se découpe l'ombre d'un arbre

    Pendant mon absence grandi.

    Levant leurs pattes de lionne

    Elles se mettent en arrêt.

    Leur regard blanc me questionne,

    Mais je leur dis le mot secret.

    Et je passe. - Dressant sa tête,

    Le vieux chien retombe assoupi,

    Et mon pas sonore inquiète

    L'écho dans son coin accroupi.

    Théophile Gautier.

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